Les jolis écrits de ma Maman

C’était un jour sans lumière #1

Certaines* d’entre vous semblent avoir apprécié la nouvelle écrite à 4 mains par ma maman et son binôme, Pierre. On les retrouve donc cette semaine et la suivante !
Cette année, dans leur atelier d’écriture, l’exercice consiste à écrire un court texte à partir d’une phrase piochée dans un livre. Bien entendu, à partir d’une même phrase, les textes sont très différents ! Vous allez le voir avec celui de ma maman (cette semaine) et celui de Pierre (la semaine prochaine) écrits à partir de la phrase suivante : « C’était un jour sans lumière« .

*Je sais que certaines ne lisent pas et n’apprécient pas ce type de RV ou mon coin lecture mais la diversité culturelle est une source de richesse…


C’était un jour ordinaire, un jour sans lumière comme les dizaines de jours qui avaient précédé ce jour-là. Le ciel gris et bas noyait le paysage dans un brouillard épais. On ne distinguait aucun bâtiment, aucun arbre ; tout n’était qu’un amalgame nébuleux duquel rien n’émergeait. Quelques silhouettes furtives et imprécises apparaissaient un instant et disparaissaient aussitôt telles des ectoplasmes prisonniers de cette masse grise et mouvante. Debout derrière la fenêtre de la triste cuisine, elle regardait cette scène fantomatique, l’esprit vide, le cœur frustré.  Elle scrutait le magma brouillardeux dans l’espoir d’y deviner une minuscule faille, un léger interstice qui auraient autorisé le passage d’un rai de lumière si faible soit-il. Mais rien. La grisaille était impénétrable et la petite fille n’en pouvait plus d’ennui.  

– Anaïs ! C’est insupportable de te voir désœuvrée comme ça ! Tu pourrais quand-même te trouver une occupation ! Chais pas, moi. Tu pourrais aller à la bibliothèque, tiens ! Je n’veux pas te voir encore dix minutes comme ça. Ça me rend folle !

La petite fille en avait par-dessus la tête des réflexions de sa mère. Elle sentait confusément que cette mère aimerait avoir une fille différente, plus dynamique, plus curieuse, qui lui ressemble davantage. Mais elle était comme elle était, elle n’y pouvait rien. Ah si seulement son père n’était pas si souvent absent ! Il la comprenait lui, il l’écoutait, il savait ce qu’elle aimait. D’ailleurs, c’est pour ça qu’il lui avait acheté Noisette, son petit cocker, son meilleur ami, celui à qui elle pouvait parler quand elle était trop triste. Il savait la consoler en se blottissant contre elle et en lui donnant de chaleureux coups de langue sur le visage.  Mais même les câlins de Noisette déplaisaient à sa mère : « C’est dégoûtant, Anaïs ! Ne laisse pas ce chien te lécher la figure comme ça ! ». Bon, elle allait se rendre à la bibliothèque. Ça lui éviterait d’entendre les jérémiades maternelles et peut-être qu’elle y trouverait une copine.

– Bonjour Anaïs ! Tu es bien courageuse d’être venue par ce temps ! Tu vois, il n’y a pas grand monde à la bibliothèque aujourd’hui. Tu vas voir, je vais te faire plaisir. Je viens de recevoir un livre tout juste paru et mon petit doigt me dit qu’il va te plaire !

Anaïs saisit le livre, posa les yeux sur la couverture colorée du Folio et découvrit une photo qui en occupait la presque totalité. L’animal était superbe, majestueux. Il avait les mêmes yeux doux que Noisette et la même fourrure caramel mais ce n’était pas un cocker, non. C’était un lion magnifique, un roi. Fascinée, Anaïs le contempla encore et encore et n’avait plus qu’une hâte : ouvrir le livre, tourner les pages, connaître l’histoire de cet animal sublime.

Des années plus tard, elle garde dans son cœur le récit émouvant et tragique d’une amitié indéfectible entre une petite sauvageonne et un fauve. Assise sur le coffre sous la fenêtre de la cuisine, le livre entre les mains, elle était devenue Patricia, la petite fille solitaire de la savane au pied du Kilimandjaro. Noisette, son véritable ami, n’était rien moins que le majestueux King. Tout au long de sa lecture, bouleversée, elle était dans un monde inconnu, irréel, dans un univers sans humains où le soleil et les animaux sont les seuls maîtres. Des émotions intenses la happaient tour à tour. Heureuse à chaque retrouvaille avec son ami, déçue des rapports compliqués avec la mère, effrayée par la détermination du jeune Oriunga décidé à abattre King pour accomplir la traditionnelle initiation des hommes Massaï, et finalement accablée, en larmes, lorsque le destin cruel terrasse King. Les oreilles fermées aux bruits qui l’entouraient et surtout les yeux détournés du jour sans lumière qui barbouillait la fenêtre de la cuisine, elle avait entrepris un merveilleux voyage.

Ce jour-là, la petite fille que j’étais avait compris qu’il n’y a plus de jour sans lumière quand on a la compagnie d’un livre.

18 commentaires sur “C’était un jour sans lumière #1

  1. Jolie texte, je suis admirative des personnes qui à partir d’une phrase arrive à faire un texte aussi long. Bravo à ta maman.

    Bises

    Catherine

    J’aime

  2. J’apprécie beaucoup ta rubrique sur la lecture et les écrits de ta maman. Par contre pour les écrits je préfère les lire le même jour vu que je lis beaucoup j’ai tendance à oublier en une semaine. Alors j’attends la semaine prochaine pour découvrir les deux textes avec plaisir. Merci Cath.

    J’aime

  3. bonjour Cath,

    toujours autant de plaisir à lire les écrits de Mme Belle Plume.

    Un grand bravo car ce n’est pas évident de faire de tels exercices.

    Merci pour le partage. Belle et douce journée là où vous êtes.

    J’aime

  4. Quel grand plaisir de découvrir un nouvel écrit de ta maman ! Grâce à sa description, on imagine tellement bien la petite fille qui traîne son ennui, puis, qui fait une decouverte essentielle, le livre est un de nos meilleurs amis, celui qui nous emporte dans un monde imaginaire et nous fait tout oublier au fil des histoires. Merci a ta maman, à toi. Bises

    J’aime

  5. Coucou Cath,

    C’est un réel plaisir de découvrir les jolis textes de ta maman …merci beaucoup Madame Belle Plume de partager avec nous …

    Et la dernière phrase de ce récit me parle bien…gamine, les livres me sauvaient de l’ennui qui régnait à la maison…c’est une si belle façon de s’évader la lecture !

    Je n’ai jamais cesser de lire !

    Belle journée à vous deux

    Domi

    J’aime

  6. Je suis toujours friande des écrits de Mme BellePlume. Avec une phrase, Mme BellePlume nous amène à comprendre comment le plaisir de lecture peut naître…

    J’aime

  7. Merci Cath et merci à ta maman et à Pierre pour nous faire ce nouveau cadeau ! Tu sais combien j’aime lire les écritures de ta maman et pour moi c’est un vrai plus !

    Bisous et merci, merci Madame Belle Plume

    J’aime

  8. Quel plaisir de découvrir un nouveau texte de ta maman, j’avais beaucoup aimé le récit à quatre mains avec Pierre…

    Ce récit d’initiation au bonheur de la lecture de la petite Anaïs me touche particulièrement, parce que j’avais éprouvé une grosse émotion à la lecture du « Lion » de Joseph Kessel, et je comprends bien le ressenti d’Anaïs…

    Merci, bonnes vacances, bises

    J’aime

  9. Quel beau partage. Perplexe, je m’imagine face à cette phrase…

    Ta maman a su nous rendre cette journée palpitante, émouvante et je vous en remercie toutes les deux.

    J’aime

  10. Encore une fois un magnifique texte de Mme Belle plume !

    Il est vrai que quand on lit on oublie tout…pour ma part la lecture m’est indispensable…

    J’aime

  11. J’ai beaucoup de plaisir à découvrir les textes de Mme Belle Plume….. Et suis admirative de la facilité d’écriture de ta maman qui m’enchante é chaque fois…

    Bisous

    J’aime

  12. Merci pour ce nouveau texte qui nous replonge dans l’enfance et les souvenirs des premières lectures qui nous ont marqué. Le Lion en fait partie!

    J’aime beaucoup vos écrits Madame Belle Plume et j’ai hâte de lire ce que cette phrase a inspiré à Pierre.

    J’aime

  13. c’est chaque fois un plaisir de lire les écrits de Mme Belle Plume et maintenant ceux de Pierre. merci à eux et merci à toi de nous faire partager le fruit de leur talet.*douce journée à tous

    J’aime

  14. Joli texte, qui me donne bien envie de relire « Le lion » de Kessel, lu au collège mais dont je n’ai pas un souvenir très précis. J’ai malgré tout dû apprécié à l’époque car mon livre que j’ai dans la collection « Mille soleils » (collection que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître comme diraient certains ;)) fait partie de ceux qui ont résisté à tous les tris faits depuis. Je viens donc de le remettre dans ma PAL.

    Merci à Mme Belle plume !

    Bises et bonne soirée

    J’aime

Laisser un commentaire